Dans les documents qui nous ont été transmis, certains n’ayant aucun rapport avec le sujet de notre ouvrage nous ont conduit bien loin de la région Auvergne-Rhône-Alpes. Aujourd’hui nous partons pour la Sardaigne afin de suivre le destin particulier d’un bombardier et de son équipage.
Début 1943, les opérations militaires en Méditerranée se concentrent sur la Tunisie où l’Afrika Korps de Rommel associée à des unités italiennes est aux prises avec les armées alliées. Pendant ce temps les aérodromes de Libye sont utilisés pour conduire d’importants raids sur le sud de l’Italie.
L'histoire du B24 "Blonde Bomber II"
Le 20 février 1943 le 98th Bomb Group participe à un raid de bombardement de la 9th Air Force ciblant le port de Naples. Cette opération s’inscrit dans le plan allié visant à couper les lignes d’approvisionnement ennemies vers l’Afrique d’une part, en prévision de l’invasion de l’Italie d’autre part.
Le B24 D-1-CO 41-23659 « Blonde Bomber II » du 343rd squadron va effectuer ce jour-là sa 25e mission au départ de l’Aérodrome de Tobrouk situé sur les Côtes libyennes de l’Est non loin de la frontière égyptienne. Les équipages de vingt-sept B24 des 343rd, 344th, 345th et 415th Bomb squadrons du 98th Bomb Group se préparent dans la matinée, décollent vers midi et rejoignent les autres unités de bombardement participant au raid. Le vol débute normalement mais très vite les équipages aperçoivent une importante dépression devant eux ; la formation s’enfonce dans un orage et déjà vingt-quatre appareils du 98th Bomb group font demi-tour ! Le Blonde Bomber II parvient à sortir des intempéries sans dommage et atteint la cible avec le reste de la formation juste avant le coucher du soleil. Le bombardement se fait bon an mal an à 23 000 pieds d’altitude sous les tirs intenses de la redoutable « flak*». Lorsque le B24 s’approche à son tour toutes soutes ouvertes, alors que ses bombes glissent depuis les rampes de lancement pour tomber dans le vide, l’appareil est violemment secoué à plusieurs reprises par des explosions.
La formation de la 9th Air Force prend le chemin du retour. A l’intérieur du Blonde bomber II le pilote le 1st Lt Dan Story et les membres de l’équipage mixte anglo-américain sont inquiets. Les canons anti-aériens ont causé de gros dégâts au B 24 : deux de ses moteurs ne fonctionnent plus. Le système d’oxygénation est hors-service et le réservoir de carburant fuit. Mais l’équipage n’est pas encore au bout de ses peines : ce sont maintenant des chasseurs allemands, cinq Messerschmitt Bf 109 et deux Messerschmitt Bf 110, qui prennent le relai et attaquent la formation alors qu’elle amorce un demi-tour pour s’éloigner de la cible. Heureusement les mitrailleuses et la réactivité des pilotes permettent de les maintenir à bonne distance. Le B 24 poursuit tant bien que mal son vol au sein de la formation. Alors que la nuit tombe, il entre à nouveau dans une zone orageuse. Dans ces conditions le pilote réalise qu’il lui sera impossible de rejoindre la base libyenne ; il va bientôt falloir se poser. Il décide de prendre la direction de Malte territoire contrôlé par les Alliés. Mais soudain la radio du B 24 grésille et une voix italienne se fait entendre : l’appareil est repéré ! Il n’a de toute façon plus pas assez de fuel et doit atterrir d’urgence en Sicile, en territoire ennemi. L’aérodrome sicilien de Pachino près de Syracuse est choisi. Le bombardier parvient difficilement à s’aligner avant de toucher le sol. Le pilote usant de toute sa maitrise amène les roues au contact et l’appareil quasiment hors de contrôle ne doit son salut qu’à l’épaisse couche de boue qui recouvre la piste suite aux nombreuses averses de la journée. La quadrimoteur finit par s’embourber ce qui arrête sa course folle. Les membres de l’équipage s’attèlent à détruire le système de bombardement et les équipements radio. Des militaires italiens arrivent rapidement pour les capturer mais aussi pour tenir à distance un groupe de civils hostiles qui tentent de viser l’équipage avec diverses armes. Le 1st Lt D.A. Story, le 2nd Lt Jerry Perlman, le 2nd Lt F.L. Griffin, le S/Sgt Tim Timar, M/sgt Harry Hopkins, le S/Sgt Fred Saulberg, le S/Sgt Herman J. Hochman et le T/Sgt Johnnie C. Moore sont mis aux arrêts.
Le Blonde Bomber II demeure sur place, immobile, plusieurs jours durant. Il reste à découvert au beau milieu de l’aérodrome de Pachino et cible facile, il subit le lendemain le « straffing » d’un avion britannique provenant de Malte. Les pilotes du commandement de la Regia Aeronautica tentent de mettre le bombardier à l’abri mais n’y parviennent pas puisqu’ils ignorent comment le faire fonctionner ! Il n’y a de plus pas beaucoup de carburant dans les réservoirs et il s’agit d’un gasoil particulier dont le taux d’octane est plus faible que celui utilisé par les américains. Or ils n’en disposent pas à Pachino. Des spécialistes du Centre expérimental de la Regia Aeronautica de Guidonia, situé près de Rome, sont appelés à la rescousse : ils arrivent le 24 février. Il faut attendre le 4 mars pour que le Capitaine John Raina, pilote, assisté du mécanicien Aldo Stagliano parviennent à arracher du sol l’imposant aéronef. Trophée de guerre le B 24 est « italianisé »: les bandes blanches de l’armée de l’air italiennes sont apposées sur la queue et autour du fuselage, par-dessus la couleur « desert-camouflaged ». Il n’est cependant pas repeint et la Pin-up Blonde au buste généreux apparaissant à l’avant de l’appareil reste visible. La silhouette du bombardier demeure toutefois celle d’un avion américain et par erreur il est légèrement atteint par un tir anti-aérien italien au cours d’un vol d’essai! Les réservoirs sont donc enfin remplis et il est entièrement réparé, prêt pour une nouvelle vie au Centre expérimental de la Regia Aeronautica.
En mai 1943 un violent bombardement allié vise à nouveau Naples mais aussi Rome. L’aérodrome de Guidonia, alors très exposé, n’est plus un endroit sûr pour la prise de guerre. L’avion est convoyé à Foligno, plus au nord. Au début du mois de juin, il est de retour à Guidonia. L’appareil-trophée est alors l’objet de la convoitise des Allemands qui le réclament au point que le B 24 fait l’objet de tractations diplomatiques entre les deux nations de l’Axe. Les Allemands souhaitent l’affecter pour des opérations spéciales au Kampfgeschwader 200, unité qui dispose déjà dans ses rangs de quelques avions alliés capturés. Le 19 juin 1943 les Italiens cèdent finalement et le Capitaine Giovanni Raina aux commandes du Blonde Bomber II s’envole pour la Bavière ; le lendemain il rejoint le Centre Expérimental de la Luftwaffe à Rechlin. L’avion porte temporairement l’immatriculation civile suivante : I-RAIN. Le B24 retrouve alors un compatriote, un B17 capturé en Hollande.
La représentation sulfureuse à l’avant de l’appareil se fait encore remarquer. Le buste de la Pin-up blonde américaine impressionne le pilote allemand, Hans-Werner Lerche. Il va tester le B 24 en vol à plusieurs reprises, tandis que les deux mécaniciens italien membres de l’équipage qui l’ont convoyé sont autorisés à monter à bord durant les tests. Le pilote de la Luftwaffe qui a déjà eu l’occasion d’effectuer des tests en vol avec un B 17 est très intrigué par le « Liberator italien » et par ses différences techniques avec l’autre appareil. Entre temps le Blonde Bomber II perd son identité lorsqu’il est entièrement repeint par les Allemands. Le sourire de la charmante jeune américaine disparait sous la peinture vert foncé du KG 200. Des croix noires sont peintes sur la queue**. C’est lors du quatrième vol d’essai que la catastrophe se produit : le train d’atterrissage du nez casse lorsque l’appareil se pose sur le sol sec parsemé d’herbes dures du terrain d’aviation de Rechlin. La partie avant bascule, percute lourdement le sol et l’avion termine sa course le nez sur la piste mais sans autre dommage. Sans le savoir, Lerche a découvert l’un des plus grands points faibles de l’appareil américain !
Le Blonde Bomber II endommagé connaît une triste fin. Promis au KG 200, il ne sera finalement jamais réparé et restera cloué au sol. Il sera même exposé peu après au feu des chasseurs-bombardiers de la 8th Air Force et sera retrouvé sur la rampe de Rechlin à la fin de la guerre, en piteux état.
Le devenir de l’équipage du Blonde Bomber II : plusieurs mois d’emprisonnement et d’errance
Après l’atterrissage à Pachino, l’équipage de D. A. Story est immédiatement emmené à Syracuse, puis les hommes sont expédiés en train jusqu’à Palerme et de là jusqu’à Poggio Mirteto, au nord de Rome. Ils sont alors confinés et interrogés onze jours durant. Après cela ils sont internés au camp n°59 de Servigliano - à 170 km au nord-est de Poggio, près des côtes adriatiques. Les conditions de vie sont rudes dans le camp de prisonniers : l’hygiène est déplorable, les rations alimentaires insuffisantes et les baraquements infestés de poux et de punaises de lits. Les hommes reçoivent heureusement l’aide de la Croix Rouge anglaise et américaine. Des tentatives d’évasion ont lieu mais sont toutes infructueuses. Alors que l’équipage du B 24 est enfermé ici depuis environ sept mois, la nouvelle de l’Armistice conclu entre l’Italie et les Alliés leur parvient le 9 septembre 1943. Encouragés par cette information, tous les prisonniers tentent une évasion générale dans la nuit du 14 septembre. Les hommes de l’équipage Story s’évadent ainsi mais sans carte, sans savoir où ils sont ni où sont positionnés leurs compatriotes : ils ignorent que les Alliés se trouvent alors bien plus au sud et qu’ils entreront dans Naples évacuée par les Allemands peu après, le 1er octobre .
Plusieurs semaines durant les hommes du 98th BG, aidé par plusieurs familles italiennes partisanes, prennent la route d’abord en direction du nord puis vers le sud-est, sur la côte adriatique. Mais sans solution pour partir par la mer, ils reviennent vers l’intérieur des terres et se font capturer par les Allemands à Viletta Barrea, à environ 160 km à l’est de Rome, le 20 octobre. Ils sont emmenés à Frosinone (90km au sud-Est de Rome) où ils restent dix jours durant lesquels ils effectuent des travaux forcés : ils réparent les rails, comblent les cratères de bombes et pillent du matériel utile dans les maisons de civils. Puis l’équipage est emmené dans un camp de Spolète un peu plus au nord où les conditions de vie sont là encore très difficiles. Dans la matinée du 25 décembre 150 prisonniers dont des membres d’équipage du Blonde Bomber II sont amenés à Rome en camions pour une opération de propagande. A l’Hôtel Regina ils rencontrent en effet Kesserling, le commandant des forces armées allemandes pour l’Europe du sud, puis sont rapidement ramenés à Spolète. Sur le chemin du retour l’un des hommes vole une paire de pinces coupantes, objet qui les aidera à s’évader par la suite. C’est chose faite fin décembre pour deux d’entre eux : des familles aident Moore et Hochman*** à se cacher près de la côte adriatique qu’ils ont à nouveau rejoint. Enfin, le 31 mai, presque un an et trois mois après leur atterrissage en catastrophe en Sicile, c’est le départ pour Ortona (70 km vers le sud sur la côte) qu’ils rallient le 1er juin à 16h30 et ce alors que les Alliés marchent enfin sur Rome. Les deux hommes sont à nouveau déclarés opérationnels le 4 juin.
*Le T/Sgt J.C. Moore évoque une « intense flak »; il emploie le terme « flak » comme un terme générique pour évoquer l’artillerie anti-aérienne italienne
**Il y a plusieurs versions concernant la couleur de peinture apposée sur l’appareil et sur la présence ou non des croix noires sur la queue.
***Tous ces détails sont connus grâce aux interrogatoires de de Johnnie C. Moore, mécanicien, qui sera de retour en mission le 1er juin 1944 et de Herman J. Hochman.
Ils nous apprennent que Story, Perlann, Griffin et Timar sont prisonniers de guerre en Allemagne, que Hopkins demeure en Italie et que Saulberg, aperçu pour la dernière fois dans le train de prisonniers, disparaît.
Sources / Biblio
- http://www.taracopp.com/98th-Bombardment-Group-WWII/98th-BG-Microfilm-AFHRA/i-CkQ6MvP/X3 rapports américains interrogatoires du T/sgt Johnnie C. Moore 14031503 et du S/Sgt Herman J. Hochman 18061638 datés du 3 juin 1944
- Témoignage du pilote allemand qui teste l’avion : « Luftwaffe Test pilot, flying captured allied aircraft of WW 2 », Hans-Werner Lerche, 1977
- « KG 200, the Luftwaffe’s most secret unit » Geoffray J. Thomas & Barry Ketley, Hikoki Publications, 2003