Comme pour nombre de nos enquêtes tout commence par un unique document au demeurant insignifiant, en l’occurrence une photo sommairement annotée « mars 1940, Bron ». Nous ne soupçonnions pas il y a quelques semaines que celle-ci allait nous conduire aussi loin et nous tenir en haleine des heures durant. Nous sommes émus et fiers de faire revivre, outre le passé, la mémoire de ceux qui ont vécus et ont si souvent payé de leur vie leur engagement pour lequel l’esprit de sacrifice n’est plus à démontrer.
Le jeudi 28 mars 1940 à 10h15 deux avions forts peu connus en ces lieux se posent sur la piste de l’aérodrome de Lyon-Bron. Ce sont des Fairey Battle du squadron 150 de la R.A.F. qui, avec sept autres escadrilles dotées du même type d’aéronef, forme la composante de bombardiers légers de l’ Advanced Air Striking Force (dispositif de la R.A.F. déployé en appui de la British Expeditionary Force sur le continent).
Il s’agit en fait d’une visite technique qui ne consistera qu’en un ravitaillement lors d’un vol d’entrainement de deux équipages (trois personnels par avion). Il fait beau et peu de nuages encombrent l’azur dans le ciel rhônalpin en ce début de printemps. Anglais et Français partagent le « mess » à midi puis la visite s’achève par le départ des avions britanniques qui retournent à leur base d’Ecury-sur-Coole (dans la Marne, à quelques kilomètres au sud de Châlon-en-Champagne) en milieu d’après midi sous un soleil radieux. C’est une tranquille journée de la « Drôle de Guerre », comme tant d’autres, loin du chaos qui s’annoncera six semaines plus tard.
Parmi ces deux avions un est identifiable, le JN-P (P2184), dont l’équipage se compose du Sgt. Sidney Ernest Andrews (pilote), du Sgt. N.J.Ingram (radio/navigateur) et du mitrailleur H.R.Frigg.
10 mai 1940 l’armée allemande déferle sur les Pays Bas et la Belgique. Les unités de l’A.A.S.F. fondent sur les colonnes ennemies. Malgré son nom martial, le Fairey Battle ne fait pas le poids face aux Me 109 et à la FLAK: lent et faiblement armé, il subit des pertes terribles et peu reviendront en Angleterre.
12 mai 1940, 14h45 : le JN-P s’envole d’Ecury-sur-Coole avec deux autres appareils. La mission les emmène sur l’axe Bertrix-Neufchâteau dans les Ardennes belges pour bombarder les colonnes motorisées de la Wehrmacht qui prennent la direction de Sedan. Au sol la défense aérienne n’a pas été oubliée et c’est une FLAK d’une intensité inouïe qui réceptionne les trois aéroplanes. Un est abattu et voit son équipage tué; le bombardement est un échec. Seuls deux Battle reviennent vers la Marne. Le JN-P traine un panache de fumée opaque et une partie de son gouvernail de profondeur est arrachée. Le Sgt.S.E.Andrews parvient à poser l’appareil et par miracle personne n’est blessé à son bord. On dénombre 27 impacts de projectiles de 20 mm pour la plupart. Le Fairey Battle est décrété irréparable et on l’abandonne au bord de la piste. Deux semaines plus tard les fantassins allemands le trouveront abandonné et profiteront de l’occasion pour se faire photographier à ses côtés.
Les trois membres d’équipage reçoivent la Distinguished Flying Medal le 5 novembre 1940 comme l’atteste le « London Gazette ». Cette décoration est l’équivalent de la Distinguished Flying Cross pour les sous-officiers. Une citation accompagne l’annonce : « These airmen have been together as an aircraft crew since the outbreak of war. By mutual trust and co-operation in their duties, they have produced a really first-class team which can be relied upon to complete any air operation allotted to them. Since 10th may 1940, this crew has flown in one day and eight night operations against the enemy, sometimes in very difficult weather conditions. On each occasion, the target was located and attacked and valuable reconnaissance information obtained. I consider that the fine service rendered by each of these airmen is most worthy of reward »
(« Ces aviateurs font partie du même équipage depuis le déclenchement de la guerre. Par la confiance mutuelle et la coopération dans leurs fonctions, ils forment une équipe de première classe qui peut être appelée pour conduire toute opération aérienne qui leur est imparti. Depuis le 10 mai 1940, cet équipage a volé un jour et huit nuit en opérations contre l'ennemi, parfois dans des conditions climatiques très difficiles. A chaque fois, la cible a été localisée et attaquée et des informations de reconnaissance précieuses obtenues. Je considère que le service rendu par chacun de ces aviateurs est digne de récompense. »).
Sydney Andrews, promu officier le 2 septembre 1940, est affecté dans la chasse au squadron 32 puis au squadron 257. Après la Bataille d'Angleterre il devient instructeur en Operationnal Training Unit. En novembre 1941 une promotion le nomme Flight Commander du squadron 242 avec lequel il embarque sur le HMS Argus pour rejoindre Malte le 12 novembre 1941. Peu de temps après, c'est à la tête du squadron 605 qu'on le retrouve. Abattu le 29 décembre 1941 par un Me 109 du JG 53, il est récupéré en mer par une vedette de sauvetage. En février 1942, suite à une bagarre dans un bar de La Valette, il quitte son commandement et rejoint l'Égypte où il reçoit le commandement de la No. 3 Aircraft Maintenance Unit. Il décède le 9 août 1942 dans le P40 Tomahawk IIb AM399 après une panne de moteur à Moascar (Égypte) et repose au War Mémorial Cemetery à Ismailia (nord de l'Égypte).
Voici l'histoire de la carrière haute en couleur d'un officier de la R.A.F. Mais notre travail ne s'arrête pas là, nous enquêtons désormais sur N.J. Ingram et H.R. Frigg. Nous vous en donnerons le récit prochainement.