Qui est John Renshaw Starr, parachuté en France à l'été 1942 ?
Août 1942 en France, une nuit près de Valence, en Zone dite Libre gouvernée par Vichy.
Un bruit de moteur d’avion se fait soudain entendre. D’abord lointain le bourdonnement caractéristique se rapproche ; surgit alors un appareil de la Royal Air Force (RAF) qui, à la faveur de la lueur de la lune, survole la campagne à basse altitude avant de s’élever et de s’éloigner dans la nuit. Quelques instants après le silence revenu est soudainement perturbé par un bruit sourd: un homme, qui vient de sauter en parachute, atterrit dans un champ.
Cet homme c’est John Ashford Renshaw Starr, alias « Emile ».
Depuis que le SOE, service secret britannique, a été crée en juillet 1940 par Winston Churchill, des dizaines d’agents britanniques ont déjà été parachutés dans les pays occupés par l’Allemagne Nazie. Et des centaines d’autres le seront bientôt dans tous les Etats prenant part au conflit. Lors de la création de ce service Churchill aurait dit à ses hommes : « Et maintenant, mettez le feu à l’Europe ». Il s’agit de soutenir la révolte et les mouvements de résistance contre l’Occupant et de contribuer à la création de l’armée des ombres. En l’occurrence c’est la première mission de notre homme en France : enquêter sur les capacités d’un réseau du sud de la France nommé « Carte » à rassembler assez de volontaires pour constituer une armée secrète.
Né le 6 août 1908 John Starr est le Fils de Alfred Demarest Starr, un Américain, et de Ethel Renshaw, une Britannique. Il vit à Paris et gagne sa vie comme illustrateur lorsqu’en 1938 il manifeste sa volonté de s’engager dans la Royal Air Force. Le War Office va mettre deux ans à satisfaire sa demande en raison de la nationalité américaine de son père. En 1940 il est finalement affecté dans une unité britannique stationnée à Rouen – King’s Own Scottish Borderers Regiment - puis il est intégré à la Field Security Police à Nantes. Comme toute son unité il fuit devant l’avancée allemande en juin 1940 et rejoint l’Angleterre par Saint-Nazaire. Il s’entraîne d’abord avec son unité à Winchester avant d’intégrer le SOE. Il parle parfaitement bien le Français et il est choisi comme agent de terrain de la section française appelée «Section F ». On la désigne aussi parfois sous le nom de « Réseau Buckmaster » du nom du Colonel qui la dirige. Pendant plusieurs mois John suit un entraînement théorique et physique de préparation à son parachutage et à son infiltration en territoire ennemi dans l’un des camps de formation et d’entraînement de la RAF, en Angleterre.
Sa première mission en août 1942 : un parachutage près de Valence et plusieurs questions en suspend
Si le dossier de John Starr conservé aux Archives Nationales anglaises - National Archives - nous permet d’affirmer qu’il est bien parachuté une nuit d’août 1942 en France pour une brève mission, nous ne sommes pas en mesure d’en préciser ni le moment exact ni le lieu précis.
Plusieurs auteurs – dont M.R.D. Foot auteur de « SOE in France » - avancent la date du 28 ou du 29 août et évoquent la ville française de Valence. Lorsque l’on scrute les livres de rapports d’opérations – Operation Records Books - des deux escadrilles de la RAF chargées des opérations spéciales alors, on ne trouve pas notre réponse : concernant le squadron 161, les coordonnées exactes de chaque mission de la nuit du 27 au 28 ne correspondent pas et il n’y a aucun compte-rendu pour la nuit du 28 au 29. Pour ce qui est du squadron 138, plusieurs missions sont effectuées au cours de ces deux nuits au-dessus de la France mais leur destination exacte n’est pas indiquée.
Nous disposons par ailleurs de témoignages et d’un rapport de gendarmerie faisant état d’un parachutage nocturne à Etoile-sur-Rhône le 29 août 1942 à une heure du matin. Cette petite ville située à quelques kilomètres au sud de Valence dispose bien d’un terrain adapté à un parachutage clandestin qui aurait pu être celui de notre homme. Mais si l’on se réfère au site du musée de la Résistance , le terrain d’Etoile ne fut jamais utilisé…
John serait resté quelques semaines en France avant de repartir pour Londres.
Sa deuxième mission, organiser un réseau pour la section F du SOE entre Saint-Etienne et Dijon
Au printemps 1943 John Star, alias « Bob » est parachuté à Lons-le-Saunier (Jura) avec un opérateur radio et une secrétaire. Comme sa première mission en France s’est bien déroulée il s’en voit confier une seconde de plus grande importance : fonder un mouvement qui fera partie du « Réseau Buckmaster » et qui s’appellera « Acrobat ». Dans les Archives anglaises ce réseau est nommé « Prosper ». Il organise son réseau et soutient durant quelques mois l’action de la résistance française en participant à la préparation de terrains d'atterrissages et de lieux de dépôts de matériel. Mais à l’été 1943 la traque des services secrets allemands et de la Gestapo aboutit à une vague d’arrestations au sein des mouvements de la Résistance. C'est à ce moment que se produit l’arrestation de Jean Moulin à Caluire, le 21 juin 1943 sous la houlette de Klaus Barbie. « Bob » quant à lui est arrêté par les Allemands le 18 juillet.
Son séjour en prison puis en camp : une période trouble
Il est conduit à la prison de Dijon où se sont installés les services secrets allemands, appelés Sicherheitsdienst (SD). Puis il est transféré à la prison de Fresnes au sud de Paris. Il subit sûrement des interrogatoires musclés voire la torture, ce qui est le lot de nombreux prisonniers résistants alors. On cherche en effet à lui soutirer le plus d’informations possibles sur les membres de son réseau. Le 25 novembre, il fait une tentative d’évasion avec plusieurs autres prisonniers, dont Léon Faye, un Français chef militaire du réseau Alliance. Mais ils échouent, John Starr est blessé par balle à la cuisse. Il est ensuite amené au quartier général du SD à Paris au sinistre 84, Avenue Foch où les interrogatoires et les mauvais traitements se poursuivent. En 1944 il est finalement déporté au Camp de concentration de Sachenhausen près de Berlin. Atteint du typhus il est placé en quarantaine sous la garde de la Croix-Rouge et échappe ainsi à l’exécution. Il arrive par la suite à se mêler à des prisonniers transférés à Mathausen (Autriche). Puis de là, grâce à sa parfaite maîtrise de notre langue, il fait croire qu’il est français et parvient à rejoindre la Suisse vers la fin du conflit. Mais après la guerre, le récit de sa fuite ne convainc pas tout le monde.
Plusieurs anciens co-détenus témoignent en effet et incriminent John Starr ; ils le soupçonnent de contre-espionnage : il aurait collaboré avec les Allemands sans toutefois recouvrer la liberté mais peut-être aurait-il pu par ce moyen sauver sa peau, sous couvert d’une maladie contagieuse...
Les Archives Nationales anglaises conservent l’ensemble de ces témoignages ainsi que des rapports sur les activités de John Starr durant son internement: il en ressort un comportement suspect mais faute de preuves concrètes tous ces éléments n’ont pas suffi à lancer des poursuites à son encontre. L’écrivain anglaise Jean Overton Fuller en a fait un ouvrage en 1954 intitulé « The Starr Affair ».
Le frère de John, Georges Reginald Starr, fut également agent du SOE au sein d’un réseau en France et reçut de nombreuses décorations pour son action.
Après la guerre
John Starr retourne à la vie civile et s’installe à Hanley dans le Staffordshire où il ouvre une boîte de nuit, avec deux anciens agents du SOE comme collaborateurs. Il retournera ensuite vivre quelques temps à Paris avant de finir sa vie en Suisse où il meurt en 1996.
Au-delà de l’ « affaire John Starr » et des problèmes soulevés par les soupçons de contre-espionnage, il ne faut pas oublier l’énorme machine mise en œuvre notamment par les Britanniques pendant la Seconde Guerre Mondiale pour aider les réseaux de résistance, au moyen de l’action des hommes et des femmes du SOE parachutés en territoire ennemi avec le concours des pilotes et équipages de la RAF les nuits de lune. Ils sont nombreux à l’avoir payé de leur vie.