De très nombreuses escadres alliées volèrent et combattirent dans le ciel de la France Méridionale. Plus particulièrement nous allons évoquer le destin des pilotes du 332nd Fighter Group au cours des missions qu’ils menèrent durant l‘été 1944 dans la phase de préparation de l’Opération « Dragoon ». Ces hommes confrontés aux dures réalités de la guerre aérienne luttèrent aussi pour l’amélioration de la condition de la minorité noire aux Etats-Unis : en effet ils furent les seuls pilotes de « couleur » acceptés dans l’USAAF.
L’histoire aéromilitaire américaine commence durant la première Guerre mondiale. Le Flying Corps accueille de nombreux jeunes gens impatients d’écrire une page de gloire dans le ciel de l’Europe. Mais la porte n’est pas ouverte à tous les postulants ; les lois raciales interdisent aux minorités de recevoir une formation. Ainsi durant cette période un seul pilote noir américain reçoit son brevet … en France. Il ne combat pas pour son pays mais intègre le fameux « Lafayette Flying Corps » (à ne pas confondre avec l’Escadrille Lafayette) dans laquelle s’illustrent des pilotes d’Outre-Atlantique bien avant l’entrée en guerre de leur pays. Il s’agit d’Eugène Jacques Bullard, né à Colombus en Géorgie. La devise peinte sur son avion « All blood runs red » est déjà un acte politique.
Après la guerre, en 1925 une commission de l’United States Military Accademy de West Point conclut à l’inaptitude des Noirs au pilotage d’avions de combat aux motifs qu’ils sont poltrons et relativement stupides … A la veille de la seconde Guerre mondiale des pressions politiques (initiative de Yancy Williams, étudiant à Howard University) obligent le gouvernement américain à mener une expérience sur la formation de pilotes noirs. Cela aboutit à la création du 332nd Fighter Group basé à Tuskegee dans l’Alabama. 926 pilotes y seront formés et 450 combattront en Europe durant le second conflit mondial.
Le 2 septembre 1941 le premier officier de couleur de toute l’histoire de l’aviation US, le Capt. Benjamin O’Davis Jr est promu colonel et prend le commandement du 332nd FG dans lequel s’illustreront les « Tuskegee Airmen ». Le group comprend quatre squadrons : 99th, 100th, 301st et 302nd FS. Au soir de la guerre le bilan de l’escadre est exceptionnel : 150 Distinguished Flying Crosses, 8 Purple Hearts, 14 Bronze Stars, 744 Air Medals et 3 Distinguished Unit Citations. Le palmarès est un des meilleurs de la chasse américaine : 113 victoires aériennes, 296 avions ennemis endommagés dont la moitié au sol, plus de 600 locomotives et wagons, environ 350 véhicules de tous types, un bateau détruit et 40 embarcations endommagées. Ce score a été acquis en 1579 missions au prix de 66 décès et 32 prisonniers. Ce group a surtout acquis une solide réputation lors de 179 missions d’escortes au-dessus de l’Europe en ne perdant que 27 bombardiers du fait de combats aériens contre 45 en moyenne pour les autres unités équipées de P51 D.
En 1943 le group est cantonné à des missions de patrouilles au-dessus de la ligne de front italienne et à l’attaque des convois ferroviaires. Ce rôle reste le sien tant que les effectifs ne sont pas complétés. En raison de la durée de la formation l’ensemble des quatre squadrons n’est réellement opérationnel qu’en mai 1944 date à laquelle il est transféré au 306th Bomb Wing avec pour mission d’escorter les bombardiers. La dotation en P 51D « Mustang » débute en juin et se termine le 4 juillet 1944. Désormais la base se situe à Ramitelli dans le sud de l’Italie. Au sujet de ces nouveaux appareils, le 1st Lt Herbert Eugene Carter déclare : « Nous voulions que les équipages des bombardiers sachent que le 332nd FG les escortaient, et que la Luftwaffe sache aussi que nous étions en action sur son territoire. Nous prîmes la peinture la plus rouge et nous l’avons appliquée sur la queue de nos appareils ». Désormais le group est surnommé « Red tails » en raison de ce choix de décoration. De leur côté, les aviateurs allemands, par crainte et respect les surnomment « Schwartz Vogelmenschen » (« les Hommes Oiseaux Noirs »).
Nous sommes le mercredi 5 juillet 1944, les « Mustangs » revêtent leur livrée si particulière et le group se prépare pour sa première mission d’escorte. Elle a lieu sur la France : 235 B17 et 359 B24 de la 15th Air Force vont bombarder Béziers, Montpellier, Sète et Toulon. Le 332nd FG surveille avec 52 de ses appareils flambants neufs les 258 B24 des 47th et 55th Wings dont l’objectif est le port varois. Le JagdGruppe 200 fait décoller dix-sept appareils (7 FW 190 et 10 Me 109) contre l’armada aérienne. Aucun B24 n’est touché par les chasseurs allemands dont la tâche est rendue fort compliquée par les appareils à queue rouge. Le seul bombardier perdu l’est du fait de l’action de la Flak et s’écrase à La Valette (est de Toulon ; MACR 6379). Le raid est un succès : 573 tonnes de bombes s’abattent sur la base sous marine et lui cause des dommages irréparables ; aucune perte civile n’est à déplorer. Le dispositif et la discipline des chasseurs dissuadent les « Jäger » de poursuivre leur action et aucun véritable combat aérien n’aura lieu.
Mercredi 12 juillet 1944 : 238 B24 des 49th et 55th Wings (15th AF) partent pour la gare de triage de Nîmes. 42 P51 D du 332th FG décollent à 7h45 de Ramitelli. Ils sont rejoints par 39 autres du 325th FG. A 10h45 les bombardiers sont attaqués lors du retour au sud-est d’Avignon par douze Me 109 (JGr.200) partis d’Orange Plan de Dieu et une dizaine de FW 190 (2./NaGr 13) de Cuers. Un furieux combat s’engage avec les chasseurs d’escorte. Six B24 tombent en flammes abattus par les chasseurs allemands :
Un P51D du 332nd FG est abandonné par son pilote (2nd Lt George M. Rhodes) alors que son moteur prend feu. Il saute en parachute et tombe aux alentours de Miramas où la Résistance le prend en charge. Il sera de retour dans son unité après exfiltration deux semaines plus tard. La victoire est attribuée à l’Uffz. Wolfgang Heumann du 2./JGr 200.
Quatre appareils allemands sont abattus et forcés de se poser en urgence. Les pilotes sont saufs et ne soufrent que de légères contusions : un à la confluence du Verdon et de la Durance (FW 190 Wknr 692), un Me 109 à Mérindol et deux Me 109 aux alentours de La Tour d’Aigues. Trois sont attribués au Capt. Joseph Elsberry et un au 1st Lt Harold Sawyer, tous deux du 301st Fighter Squadron. Elsberry devient ainsi le premier pilote noir à obtenir trois victoires en une seule journée.
Lundi 17 juillet 1944 : retour sur la France et plus particulièrement la ville d’Avignon. Le 332nd envoie 52 « Mustang » escorter 112 B24. Les trois objectifs du jour sont :
Vers 13h alors que la formation se dirige vers ses cibles, dix-neuf Me 109 du JGr 200 apparaissent. Trois se détachent et foncent sur les B24 de tête. Trois P51 D du 302th FS les engagent en combat et prennent très vite le dessus : les assaillants sont abattus dont le Me109 G-6 « 10 jaune » (Wknr 163904) de l’Hpt. Heinz Krößmann (2./JGr 200) qui trouve la mort dans le crash de son appareil. Les trois pilotes victorieux des « Red Tails » sont le 1st Lt Luther H. Smith Jr, le 1st Lt Robert H. Smith et le 1st Lt Laurence D. Wilkins.
Peu après le largage des bombes sur les objectifs, douze appareils allemands attaquent les B24 du 455th BG et malgré le barrage des chasseurs d’escorte abattent le « Twin Tails » qui va s’écraser sur le terrain d’Istres-Le Paty (Trois décés/Sept prisonniers MACR 7057). Un second bombardier touché par la Flak sera la dernière victime du jour, il tombe à Noves (9 km au sud-est d’Avignon) après avoir été évacué par son équipage (Quatre évadés/sept prisonniers MACR 6755).
Samedi 12 aout 1944 : ce jour-là il n’est pas question d’escorter des bombardiers. 71 appareils du 332nd FG et 36 du 325th FG attaquent les postes d’observation, les radars et les relais radio de la côte sud de la France. Cette mission est directement liée à la préparation tactique du débarquement prévu le 15 août.
Les 301st, 99th et 100th FS font décoller chacun dix-huit avions, le 302nd en envoie dix-sept. Les départs de Ramitelli débutent à 8h27 et se terminent à 8h55. Le cap est maintenu au 283° pour emmener les deux groups (scindés en trois sections de combat) 65 km à l’est de Perpignan au dessus de la Méditerranée. Ensuite, un grand virage est effectué pour venir au nord-est entre Sète et Saint-Tropez. L’altitude de mitraillage est prévue entre 2000 et 500 pieds.
Si la Luftwaffe n’est pas engagée contre eux, la Flak se montre terriblement efficace.
Le 99th FS s’occupe des centres de commandement situés entre Sète et Montpellier entre 10h45 et 10h50. Le squadron perd deux pilotes :
Le 100th FS opère sur les installations radar de Carqueiranne qui sont endommagées et ne pourront être remises en état avant le débarquement. Un pilote est abattu.
Le 301st FS traite les radars situés autour de Toulon qui sont tous endommagés ou détruits. Un P51 D est touché par la flak et s’écrase.
Le 302nd FS est dirigé sur les QG et centres radio de la région Leucate-Narbonne. Les installations sont endommagées. 1 pilote est perdu en mer.
21 des 65 appareils rentrant à leur base sont endommagés. Un lourd tribu a été payé mais les résultats sont à la hauteur du sacrifice : les capacités de détection et de communication de l’armée allemande sont grandement diminuées. Cette action aura un impact direct sur le déroulement du débarquement trois jours plus tard.
Dimanche 13 aout 1944 : Escorte par 66 appareils du 332nd FG de 114 B24 du 55th Bomb Wing sur les positions d’artillerie de la région de Sète. Départ à 10h55 et arrivée sur site à 12h55. Aucune activité de la Luftwaffe.
Lundi 14 aout 1944 : Mission de straffing sur des objectifs situés au Cap Blanc, au Cap Camarat et à la Ciotat. 63 P51D participent. Pendant que les 301st et 302nd FS s’occupent des cibles terrestres les 99th et 100th FS partent à la recherche de chasseurs ennemis dans la région de Toulon et sont attaqués à 10h20 par deux Me 109 et deux FW 190. Le 2nd Lt George M Rhodes Jr (celui-là même qui fut abattu le 12 juillet 1944) détruit un FW 190 qui tombe à quelques kilomètres de Toulon. C’est à se moment que l’Ofw. Eduard Isken (2./JGr 200) prend le dessus sur le 2nd Lt Robert O’Neil et l’arrose copieusement avec l’armement de son Me 109 G-6. Le Mustang part en vrille, le pilote s’en extrait et ouvre son parachute. Il tombe au bois de « La Jolie » à Trets, 20 km au sud est d’Aix-en-Provence. Au sol des résistants qui ont suivis le combat le récupère et le cachent jusqu’à la Libération. Quelques minutes plus tard c’est au tour du 2nd Lt Clarence W Allen d’être sévèrement touché par l’Uffz. Günther Kniestedt (2./JGr 200) au dessus de Mazaugues. Le pilote parvient à échapper à son adversaire et poursuit vers le sud est malgré un début d’incendie de son moteur. Il est contraint d’abandonner son appareil vers 11h au dessus de l’ile d’Elbe. Il est accueilli au sol par des troupes US.
Si le bilan des combats aériens n’est pas favorable aux « Red Tails », les objectifs au sol (stations radars et d’observations) ont été détruits ou incendiés.
Mardi 15 août 1944 : dernière mission au-dessus de la France pour le 332nd FG avec 64 appareils. Il s’agit d’escorter une centaine de B24 du 55th Bomb Wing lors du bombardement des ponts de Bourg Saint Andéol, Donzère, Le Teil et Pont-Saint -Esprit. La mission se déroule sans encombre malgré la rencontre à 12h30 avec deux Me 109 qui resteront à observer la formation à bonne distance sans intervenir.
Le 332nd FG vient d’effectuer sept missions au-dessus du sud de la France dans la phase de préparation de « Dragoon ». Le résultat montre à quel point l’engagement du group a été intense :
Désormais les « Red tails » vont voler dans les cieux d’Italie et surtout d’Allemagne où ils se distingueront encore plus. Mais les missions effectuées en France méridionale ont permis de renforcer la cohésion du group, de parfaire la maîtrise du « Mustang » et de confirmer cette unité comme une des meilleures engagée en Europe. Plus encore, au travers de leur discipline et de leur abnégation, les « Tuskegee Airmen » ont forcé le respect de leurs adversaires et suscité l’admiration de l’ensemble des troupes alliées engagées à leurs côtés. Ainsi ils remportent avec panache un précieux combat pour l’égalité des droits dans leur nation d’origine et font taire tous les préjugés sur leur capacité à se battre pour Elle.