En septembre 1939 la Pologne subit de plein fouet la folie expansionniste de l’Allemagne nazie à l’ouest et l’appétit territorial de la Russie soviétique à l’est. Le fait est aujourd’hui peu connu mais des milliers de soldats, pilotes et employés de l’aéronautique polonais, parviennent à fuir leur pays envahi et rejoignent la France afin d’y poursuivre le combat.
Après avoir laissé tomber la Tchécoslovaquie sous couvert des garanties des Accords de Munich en septembre 1938, la Grande-Bretagne et la France, qui réalisent tardivement que le maintien de la paix est illusoire, s’engagent en mars 1939 à assister militairement la Pologne en cas d’attaque de l’Allemagne, désormais plus menaçante que jamais. La France offre en outre un soutien financier de 430 millions de francs réservé à l’achat d’équipement militaire et notamment d’avions de chasse. 120 Morane-Saulnier MS 406 sont ainsi commandés et au début du mois d’août 1939, deux pilotes sont envoyés en France pour tester l’appareil : le Capitaine Wlodarkiewicz et l’officier Roland Kalpas. Mais les essais tournent court lorsque le 10 août, Wlodarkiewicz qui ne parvient pas à relever l’avion après un plongeon se crashe à Palaiseau. Une trentaine de MS 406 sont toutefois réservés mais le temps manque car déjà, le 1er septembre, l’Allemagne envahit la Pologne. Les quelques Morane sortis d’usine et comportant des inscriptions polonaises seront finalement livrés à la Turquie fin 1939.
Les combats aériens en Pologne : Aleksander Gabszewicz pour la défense de Varsovie
Le 1er septembre l’invasion allemande débute dès les premières lueurs de l’aube. Parfaitement coordonnés, les troupes au sol franchissent la frontière alors même que les bombardiers de la Luftwaffe entrent en action. Dans les airs les chasseurs polonais doivent lutter aux commandes notamment de PZL P11 c, des avions créés au début des années 1930 dont les performances sont plutôt dépassées en 1939. C’est le cas du Porucznik[1] Aleksander Gabszewicz, 28 ans, né le 6 décembre 1911 à Szawle (Lituanie, Empire russe) et engagé dans l’Armée de l’air polonaise au début des années 1930 ; au moment de l’offensive allemande il est officier tactique de l’Eskadra 114, escadre de chasse ayant pour emblème un coq de combat ; basée à l’aérodrome d’Okecie au sud de Varsovie[2] elle est dédiée à la défense de la Capitale. Dès le premier jour de combat il obtient l’une des premières victoires face à la Luftwaffe sur un Heinkel He 111 mais peu après, il est lui-même abattu par un Messerschmitt Me 110. Alors qu’il saute en parachute ses équipiers se chargent d’assurer sa défense tout en continuant leurs assauts contre l’appareil allemand qui tente de lui tirer dessus. Ils parviennent à protéger leur camarade qui atteint le sol sain et sauf. En revanche ils manquent leur cible : le Me 110 s’échappe en piquant subitement vers le sol.
Malgré l’infériorité de leurs équipements, les soldats, les pilotes et équipages luttent héroïquement ; pourtant au sol comme dans les airs, ils sont progressivement balayés par les troupes ennemies et contraints à se replier au sud-est vers la frontière avec la Roumanie, pays alors encore neutre.
[1] Ce grade équivaut à celui de Lieutenant.
[2] Actuel l’aéroport de Varsovie-Chopin.
La fuite et la longue attente en France
Devant la supériorité évidente des armées allemandes et russes, qui prennent la Pologne en tenaille, plusieurs milliers de combattants fuient vers la Roumanie dès la mi-septembre : concernant uniquement l’Armée de l’Air on estime leur nombre à environ 12 000, plus de 10 000 aviateurs et environ 2 000 employés de l’industrie aéronautique qui parviennent pour la plupart à rejoindre l’Europe occidentale. Aleksander Gabszewicz blessé après son crash est évacué en Roumanie. Il pense lui aussi que le combat peut se poursuivre à l’Ouest : ainsi dès qu’il est suffisamment rétabli et comme nombre de ses compatriotes il fuit vers la France.
Une armée de terre polonaise se reconstitue à Coetquidan – non loin de Rennes, Saint-Cyr aujourd’hui -. Les soldats de la Marine sont envoyés en Angleterre ainsi qu’un tiers des effectifs de l’armée de l’air étant parvenue en France. Deux tiers environ parmi ces derniers restent sur le sol français impatients d’intégrer des unités combattantes afin d’en découdre avec l’ennemi.
C’est ainsi que Lyon-Bron devient la base de regroupement de l’aviation polonaise en France.
Les conditions de vie de ces hommes sont difficiles. Hébergés au Fort de Bron ou dans les locaux de la Foire de Lyon - situés à l’emplacement actuel de la Cité Internationale Lyon 6e - dans des conditions précaires parfois sans sanitaire ni chauffage, la situation est grave fin 1939 début 1940 car la révolte gronde. Aleksander Gabszewicz est quant à lui un peu moins mal loti : en effet les officiers sont hébergés chez l’habitant ou à l’hôtel près de la base de Bron. Mais il est confronté comme ses camarades à des difficultés matérielles et à une certaine forme d’hostilité : le versement des soldes est en effet aléatoire et les populations locales accueillent bien mal ces militaires étrangers dont elles se méfient, dont elles pensent qu’ils n’ont pas su défendre leur patrie et qu’elles rendent ainsi responsables du conflit chez eux… De plus Gabszewicz trouve le temps long : cette « Drôle de guerre » met la patience des jeunes combattants polonais en quête d’action à rude épreuve ! Ces pilotes sans affectation ne la comprennent pas et souhaiteraient au contraire rapidement passer à l’action afin de libérer leur pays. Un homme, le général Sikorski qui bénéficie d’une grande popularité parmi les Polonais, participera à rétablir l’ordre parmi ses troupes. Dans ce contexte difficile un officier de renom connu aussi en France pour ses exploits de pilote de chasse durant la première guerre mondiale, le Colonel Palikowski, doit poursuivre coûte que coûte sa tâche et classer ses hommes afin d’établir une première liste de pilotes de chasse aptes à devenir instructeurs pour de futures unités.
De l’action, enfin, et le début des hostilités en Auvergne-Rhône-Alpes !
Entre janvier et mars 1940 plusieurs unités sont enfin créées. Des pilotes sont envoyés dans des Centres d’Instructions de Chasse divers - avant que celui de Lyon-Bron ne soit créé en mars : quatre escadrilles de chasse sont mises sur pied ; deux sont dotées de Caudron Renault CR 714 et les deux autres reçoivent des Morane Saulnier MS 406[1]. Dans un premier temps ces unités sont affectées à la défense de la région lyonnaise. Le 27 mars, les pilotes formés à Montpellier obtiennent leur propre avion avec le damier rouge et blanc de la force aérienne polonaise peint sur le fuselage. Puis le 6 avril 1940 c’est la création du groupe de chasse polonais GC 1/145 qui le 2 mai reçoit officiellement son nom « Groupe de Chasse Polonais de Varsovie n°145 »[2].
Quant à Aleksander Gabszewicz, après avoir été à la tête d’une escadrille de CR 714 jusqu’en mai, il prend la tête de la 1ère escadrille du Groupe de Chasse et de Marche Polonais (GCMP) basé à Bron.
[1] Les MS 406 sont de bien meilleurs avions de chasse que les CR 714, avec lesquels les Polonais auront de nombreux accidents durant leurs mois d’entraînement à Bron, mortels pour certains.
[2] Le 27 mai 1940 : cette unité terminera sa formation à Mions Corbas. Le groupe de chasse polonais "Varsovie" 1/145 équipé de CR 714 est formé à Bron est mis à la disposition de la zone d'opération aérienne Nord (ZOAN).
Le 10 mai 1940, suite au bombardement du terrain de Bron qui causera notamment la mort de huit aviateurs polonais[1], la plupart des unités quittent Bron et desserrent à Corbas. Durant cette période plusieurs patrouilles polonaises participent à ladéfense de la ville de Lyon et des alentours contre les incursions profondes de la Luftwaffe, aux commandes de cinq Potez 631 du Centre d'Instruction de la Chasse polonaise désormais basé à Corbas et d’une dizaine de MS 406.
Après cette première offensive plusieurs groupes supplémentaires sont créés dans l’urgence avec les nombreux effectifs polonais non encore affectés, notamment pour la reconnaissance et le bombardement. Mais il est trop tard et très peu seront prêts avant la seconde offensive des 1er et 2 juin dans notre région et même avant l’Armistice du 25 juin. Gabszewicz à la tête d’une patrouille et aux commandes d’un MS 406 au damier polonais intervient activement et se distingue le 1er juin : il participe à la lutte contre les bombardiers allemands et rentre à la base son avion perclus d’impacts.
[1] Aleksander Dobosz, Karol Dwornik, Aleksander Rosolek, Jozef Urbaniak, Tadensz Konieczko, Jozef Liptak, Mieczyslaw Lesniewski, Andrezej Rachwalik.
Changement d’affectation pour Gabszewicz
Dès le mois de mai des groupes de pilotes de chasse polonais qui ont terminé leur formation à Montpellier et Bron sont envoyés sur le front et intégrés dans des groupes de chasse français.
Le 5 juin 1940 le Lieutenant Alexander Gabszewicz est affecté avec cinq autres pilotes polonais au GC III/10,- basé à Anglure (Marne) le 10, puis qui recule à Montbard (Côte d’Or) le 13 et Clermont-Ferrand le 15. Le 11 juin Gabszewicz qui pilote désormais un Marc Bloch MB 152, avion de chasse plus maniable et mieux armé que le MS 406, reçoit la Croix de la valeur polonaise.
Le 15 juin déjà c’est l’ordre de repli pour les Polonais afin d’éviter leur capture par les Allemands qui progressent rapidement vers le sud. Les Polonais rejoignent ensuite Gaillac puis l’Afrique du Nord ou l’Angleterre. Le 17 juin l’avancée de l'armée allemande est telle qu’à 19h tombe l’ordre de repli de l'ensemble des formations aériennes, des unités spécialisées et des compagnies de l'air stationnées dans la région. Ce même jour la France demande l’armistice à l'Allemagne.
Tout n’est pas terminé pour autant. Des combattants polonais restent en France et entrent dans la clandestinité. Des groupes de ces partisans travailleront par la suite avec les services secrets britanniques et français au sein de réseaux résistants. Nombre d’entre eux toutefois quittent le territoire et participeront à la bataille d’Angleterre comme ce sera le cas pour Aleksander Gabszewicz.
La fin de l’aventure de Gabszewicz en France, la lutte continue en Angleterre
Le 3 août 1940 Aleksander Gabszewicz est cité à l’ordre de l’Armée aérienne et obtient la Croix de guerre avec palme :
« Jeune chef d’escadrille réputé en Pologne où il avait déjà plusieurs victoires. Le 1er juin 1940, a attaqué furieusement à la tête de sa patrouille l’ailier d’un peloton de neuf bombardiers ennemis et a contribué à l’abattre. Est rentré avec son avion criblé de balles ».
Pourtant il n’est plus en France. Lui aussi a finalement rejoint l’Angleterre après la Débâcle : il a effectué un périple à travers la Méditerranée jusqu’en Afrique du Nord puis est passé par l’Algérie, le Maroc et par Gibraltar avant d’atteindre l’Angleterre enfin le 22 juin. Dès son arrivée il est affecté à la Royal Air ForceVolunteer Reserve (RAFVR) puis au 5 Operational Training Unit à Aston Down près de Chalford (environ 150 km à l’ouest de Londres) le 25 septembre, au sein duquel il effectue sa conversion sur le chasseur Hawker Hurricane, utilisé alors principalement pour l’interception des bombardiers allemands – le Spitfire s’occupant quant à lui des avions de chasse ennemis.
Suite à cette formation rapide, Aleksander Gabszewicz qui a de grandes capacités d’adaptation va successivement intégrer plusieurs unités anglaises, se former au pilotage de différents avions de chasse, monter en grade et obtenir de nombreuses récompenses. Il prend part à quelques combats de la Bataille d’Angleterre avec le Squadron 607 basé à Tangmere dans le sud du pays puis rejoint le célèbre Squadron 303 à Leconfield dans le nord, et ce alors qu’il reçoit une barre à sa croix de Valeur. En décembre de la même année il intègre le Squadron 316 dit « Varsovie », basé à Pembrey dans le sud du Pays de Galles. Après avoir été chef d’escadrille il prend le commandement de toute l’unité en décembre 1941 alors que lui et ses hommes font leur conversion sur le fameux avion de chasse Supermarine Spitfire Vb. Entre temps en juillet, il a reçu une deuxième barre à sa Croix de valeur.
En juin 1942, retiré temporairement des opérations, il est affecté à l’Etat-Major du Group 11 et deux mois après il reçoit la Distinguished Flying Cross (DFC), l’une des décorations militaires britanniques parmi les plus élevées, ainsi que la Virtuti Militari la plus haute distinction polonaise. En septembre fort de sa grande expérience et de ses victoires il est nommé instructeur à l’OTU 58.
Le 28 janvier 1943 il retourne toutefois au feu et prend le commandement du 2nd Polish Fighter Wing – regroupant les squadrons 302, 316 et 317 - dont la base se trouve à Heston près de Londres. L’été suivant est bénéfique pour Gabszewicz : en juillet il reçoit la Croix de guerre française et entre le 4 juillet et le 19 août, il remporte trois victoires aux commandes d’un Spitfire IX immatriculé EN 526, sur deux Fw 190 et un Me 109 F dans le nord de la France. En décembre 1943 le Wing Commander Gabszewicz fait partie des premiers pilotes de chasse polonais à être détachés au 56th Fighter Group de la 8th Air Force et à voler sur Republic P-47 Thunderbolt.
En février 1944 il devient Group Captain et prend le commandement du 18e secteur de chasse. En mars il reçoit la Virtuti Military 4th Class - décernées à seulement 216 militaires– puis en mai il se voit honorer de la Distinguished Service Order (DSO), la seconde récompense militaire la plus prestigieuse. En juillet 1944 alors que les forces alliées progressent difficilement en Normandie et que se prépare le Débarquement en Provence, il réintègre une unité de la RAF et commande le 131 Polish FighterWing qu’il mène jusqu’en France. En janvier 1945 il est affecté à l’Etat-Major du Group 84 et quelques semaines avant l’Armistice, il retourne en Angleterre pour commander la base de Coltishall dans le nord-est de l’Angleterre.
Après la guerre, Aleksander Gabszewicz un Anglais d’adoption
En 1947 il quitte le service après avoir reçu une troisième barre à sa Croix de Valeur polonaise et décide de rester vivre en Angleterre. Les Hollandais le récompensent également en lui décernant l’ordre de Nassau. Il meurt le 10 octobre 1983 à Malvern, dans le Comté de Worcestershire où il s’était retiré. En 1992 ses cendres retournent là où a débuté son aventure aérienne et sont dispersées au-dessus de l’aérodrome de Deblin dans l’est de la Pologne où se trouvait l’Ecole des Officiers de l’Air.
Certaines illustrations et certains détails concernant notamment l'action de la chasse française et les offensives allemandes des 10 mai, 1er et 2 juin 1940, n'apparaissent pas dans cet article puisqu'ils seront traités dans notre futur ouvrage!
Bibliographie, webographie et sources:
"Polish Aces of WWII", Osprey aircraft of the aces 21, Robert Gretzyngier et Wojtek Matusiak
"Polish Wings 2: Morane MS 406, Caudron CR 714 C1 Cyclone, Bloch MB 151/152 C1", Bartlomiej Belcarz, 2007
"Avions" hors-série n°11, "Les chasseurs Caudron 714 et dérivés"
Profile Publications "The P.L.Z. P-11" n°75, 1966